Actualités e-EPS : La physique en s’amusant

Actualités e-EPS est le supplément mensuel du Bulletin du CERN. Il reprend, dans le cadre d’une collaboration entre les deux publications, des articles publiés dans la lettre d’information de la Société européenne de physique (e-EPS).

 

Pour beaucoup de personnes qui calent leur année sur le calendrier universitaire, l’été est une période de repos. Mon expérience m’a toutefois prouvé qu’il est rare de voir des départements de physique désertés pendant les grandes vacances. Nombreux sont ceux qui, parmi nous, profitent de l’absence de cours pendant cette période pour se replonger dans la recherche. Il est probable que beaucoup pensent la même chose lorsqu’un de mes collègues dit que l’été lui donne la liberté de se consacrer à la physique qui lui plaît. Et cette coupure suffit en fait en vue de préparer la nouvelle année universitaire !

Cela me rappelle l’anecdote de l’assiette lancée en l’air dans le livre Vous voulez rire, Monsieur Feynman ? Alors que Richard Feynman commence tout juste à enseigner à l’Université Cornell, après avoir travaillé au laboratoire de Los Alamos, aux États-Unis, il se sent épuisé. Il se demande pourquoi il ne ressent plus le même enthousiasme pour la physique qu’à son habitude. Il écrit : « J’aimais faire de la physique. Pour quelle raison ? Parce que cela m’amusait. Je faisais en fait tout ce dont j’avais vraiment envie. Je ne le faisais pas parce que c’était important […], mais parce j’étais curieux de le faire en m’amusant  ». Après réflexion, Richard Feynman décide que la solution est peut-être de ne pas trop se préoccuper de l’utilité possible de ses recherches, mais de se concentrer uniquement sur ce qui peut l’amuser.

Un jour, dans une cafétéria, il remarque les oscillations faites par une assiette que quelqu’un avait lancée en l’air. Intrigué, il se met à travailler sur l’équation du mouvement. Il trouve la solution rapidement, mais poursuit ses recherches vers des équations sur d’autres types d’oscillations, allant jusqu’au traitement relativiste du mouvement orbital des électrons. Ce qui l’amène finalement à l’électrodynamique quantique. La manière dont il en parle est formidable : « Ce que je faisais n’était pas important à mes yeux. Mais finalement, ça l’était vraiment.  Les diagrammes en question, et tout ce qui m’a valu le prix Nobel, sont nés de ces calculs sans importance sur le mouvement de la fameuse assiette. »

De nos jours, malheureusement, j’imagine qu’il est peu probable que quelqu’un puisse justifier une demande de subvention de recherche en expliquant qu’il s’amuse en faisant des équations. Mais l’on ne doit pas oublier la morale de cette histoire. Faire de la recherche doit d’abord être un plaisir. Et même si les problèmes jugés « importants » auront certainement toujours la priorité, résoudre des problèmes juste pour le plaisir peut être source de récompenses inattendues.

Au moment de la publication de cette édition de l’e-EPS, on préparera la rentrée. C’est peut-être l’occasion pour chacun et chacune d’entre nous de décider de consacrer un peu de son temps à des choses qui paraissent moins importantes, que ce soit pour nous ou pour les autres. N’oublions pas de faire de la physique pour le plaisir avant tout.

John Dudley, président de la Société européenne de physique


Cet article a été publié par e-EPS le 23 août 2013. Retrouvez-le ici (en anglais seulement).

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