Les collaborations dans les starting blocks

Les détecteurs sont terminés, les cavernes sont fermées et les expériences procèdent à leurs premières prises de données (fournies gracieusement par le cosmos). Ensemble, les six expériences du LHC représentent l’aboutissement d’une immense aventure internationale, reposant sur des technologies et des innovations à peine imaginables lorsque les expériences ont été proposées, certaines en 1992 déjà. Voici un bref aperçu du chemin parcouru par chacune des expériences depuis ses débuts.

ATLAS

En volume, ATLAS est le plus grand détecteur de particules jamais construit. Né de la fusion de deux collaborations, ASCOT et EAGLE, ce projet de détecteur polyvalent n’a pas connu de modification majeure depuis ses origines.

«Lorsqu’en décembre 1994 nous avons présenté la proposition technique, toutes les décisions importantes – notamment le choix du type de calorimètre et le champ magnétique à produire – étaient déjà prises», indique Peter Jenni, porte-parole de l’expérience ATLAS.

La collaboration n’a connu que deux tournants majeurs. Le premier en 1997, lorsque le modèle du trajectographe a été mis au point et qu’on a préféré les rubans de silicium aux chambres gazeuses à microrubans pour les couches extérieures. Le second en 2002, à la suite d’un audit financier, qui a entraîné diverses modifications, portant principalement sur le déclenchement de haut niveau et le système d’acquisition des données, mais aussi sur le détecteur interne, le système à muons, les équipements électroniques du calorimètre et le système de blindage. Cependant, les grandes lignes du détecteur n’ont pas été modifiées.

Le détecteur ayant été conçu dès le départ pour révéler à haute luminosité le boson de Higgs et les particules supersymétriques, à quoi va-t-il donc servir lors des premières étapes à basse énergie? «Dix TeV à faible luminosité nous fourniront déjà une grande quantité de données à étalonner… Avant de prétendre avoir fait une découverte, nous devons prouver que les résultats peuvent être reproduits et que le détecteur fonctionne correctement.»


ALICE

Lorsque l’expérience ALICE a été proposée en 1992, c’était le résultat d’un formidable travail d’extrapolation, puisque l’énergie prévue du LHC est 300 fois plus forte que celle des collisionneurs d’ions de l’époque. Au bout de 16 ans, on peut s’appuyer sur plus d’éléments, notamment les résultats des programmes d’ions lourds menés au PS et au RHIC du laboratoire national de Brookhaven.

L’expérience ALICE vise à étudier le plasma de quarks et de gluons, un état initial de la matière. «En 1993, nous tentions d’imaginer à quoi pourrait ressembler le plasma de quarks et de gluons et nous pensions qu’il se comporterait comme un gaz ou comme des particules à interaction faible, mais nous avons découvert qu’il se comporte comme un fluide non visqueux, ce qui est complètement différent», explique Jurgen Schukraft, porte-parole de l’expérience ALICE. La collaboration ALICE envisage aujourd’hui la possibilité de l’existence d’un autre état initial de la matière, le condensat de verre de couleur, qui pourrait se former à des densités de gluons très élevées dans les noyaux lourds .

Au fil du développement de l’étude des ions lourds, les collaborateurs d’ALICE ont fait preuve d’une grande flexibilité concernant la conception du détecteur, en y ajoutant, par exemple, le spectromètre à muons, un détecteur à rayonnement de transition, et le calorimètre électromagnétique (installation prévue en 2010-2011).

L’expérience ALICE compte enregistrer 1,25 Go/s de données pendant le mois de l’année où le LHC sera exploité en mode ions lourds. «Nous avons eu beaucoup de discussions sur la manière de traiter une masse aussi énorme de données, alors qu’aujourd’hui une telle quantité n’a plus rien d’exceptionnel. Mais il est vrai qu’il y a 15 ans, on n’imaginait pas traiter aussi vite une telle quantité de données», ajoute Jurgen Schukraft. Il considère que l’expérience commencera à fournir des résultats intéressants d’ici à 2009.


LHCb

Contrairement aux détecteurs polyvalents, LHCb est de forme asymétrique dans le sens de la ligne de faisceau, optimisée pour l’étude des mésons B.

Constitués d’un quark beauté et d’un quark de différente saveur, les mésons B ont suscité l’intérêt des physiciens. Andrei Goloutvin, qui a récemment succédé à Tatsuya Nakada comme porte-parole de l’expérience LHCb, explique: «Nous nous concentrons sur l’étude des mésons B, car quelques-uns de leurs comportements sont décrits de manière très précise par le modèle standard. Un écart par rapport à ces prédictions, aussi petit soit-il, indiquerait donc l’existence de phénomènes encore inconnus.» L’étude des mésons B devrait aussi aider les physiciens à comprendre l’asymétrie matière-antimatière de l’Univers (la violation de CP).

La configuration du détecteur LHCb a connu un changement important: dans la version «allégée», le nombre de couches du détecteur que les particules devront traverser a été réduit de manière significative ce qui diminue l’interaction entre les particules primaires et le matériau des détecteurs.

LHCb a été conçu pour fonctionner à une luminosité beaucoup plus faible que la luminosité maximale du LHC, qu’on obtient tout simplement en focalisant moins les faisceaux au point d’interaction. Toutefois, la collaboration envisage une amélioration majeure après les programmes initiaux de physique, soit dans 5 ou 6 ans. «Le LHC initial sera capable de fournir bien plus de luminosité que ce dont nous avons besoin. Cependant, une version améliorée du LHCb serait aussi compatible avec le Super-LHC», explique Andrei Goloutvin.


CMS

CMS, autre détecteur polyvalent, poursuit les mêmes objectifs depuis qu’il a été imaginé, il y a 13 ans. «Nous devions construire un détecteur capable de découvrir le Higgs, quelle que soit sa masse et d’explorer tous les domaines de recherche, notamment la supersymétrie, les dimensions supplémentaires et toutes sortes de sous-structures», explique Jim Virdee, porte-parole de la collaboration.

Depuis le début, il était prévu que le détecteur soit construit en surface puis descendu par tranche dans la caverne d’expérimentation. Cette méthode, jamais utilisée auparavant, a été un succès puisqu’elle a permis de travailler sur différents éléments en parallèle.

Avec le temps, la collaboration a aussi apporté quelques modifications au projet initial, tirant profit du développement technologique. Par exemple, à la fin des années 1990, l’électronique radiorésistante, nécessaire pour de nombreux sous-détecteurs, a dû être entièrement repensée par les scientifiques du CERN parce qu’une entreprise extérieure avait fait défection. D’autres réalisations, telles que la production de 75 000 cristaux de tungstate de plomb en Russie et en Chine, et la décision finale d’utiliser uniquement du silicium dans le trajectographe interne, ont tiré parti des nouvelles technologies financièrement abordables qui devenaient disponibles.

Il existe des projets d’amélioration de l’expérience CMS, par exemple l’ajout de quatre stations à muons et, à terme, le remplacement de la totalité du trajectographe interne. «On envisage de prolonger la durée de vie de l’expérience jusqu’au milieu des années 2020», conclut Jim Virdee.

Ce texte se fonde sur des informations qui seront publiées dans un numéro spécial du CERN Courier spécialement consacré au LHC.


TOTEM

Avec des détecteurs placés à 147 et 220 mètres du point d’interaction de CMS (voir Bulletin 49 et 50/2006) et d’autres à l’intérieur de CMS, TOTEM (TOTal Elastic and Diffractive Cross Section Measurement) mesurera la section efficace d’interaction totale des protons au LHC.

La spécificité de l’expérience TOTEM vient de ses «pots romains». Une vraie prouesse technique, ces structures mécaniques peuvent s’approcher jusqu’à un millimètre du faisceau. Elles supportent des détecteurs qui étudient les protons voyageant à quelques microradians du faisceau et résultant des interactions élastiques et de processus de diffraction. Quant aux interactions inélastiques, elles seront étudiées par des détecteurs placés à l’intérieur de CMS.

L’expérience contribuera à améliorer la connaissance de la structure interne des protons et des principes qui déterminent leur forme et leur taille en fonction de leur énergie. Par ailleurs, de telles données fourniront une mesure indépendante et très précise de la luminosité du LHC ainsi que des sections efficaces individuelles qui pourront être utilisées par les autres expériences.

TOTEM a installé l’intégralité de ses pots romains et en a équipé certains de détecteurs. Au démarrage du LHC, la précision du mouvement des pots romains par rapport au faisceau sera testée avec le faisceau, et les premières données seront analysées. Des détecteurs ont également été placés à l’intérieur de CMS. Après avoir acquis de l’expérience dans les premières semaines d’exploitation, les derniers détecteurs seront installés durant l’arrêt hivernal. L’expérience sera alors pleinement opérationnelle.

Vue des détecteurs au silicium de TOTEM.


LHCf

Logée à 140 mètres d’ATLAS, l’expérience LHCf vise à améliorer les modèles qui décrivent la désintégration des rayons cosmiques de très haute énergie lors de leur entrée dans l’atmosphère. Cela permettrait de définir plus exactement leurs énergies et d’analyser leurs compositions avec une plus grande précision. Ces informations contribueront à étayer des hypothèses sur la mystérieuse origine des rayons cosmiques.

Les détecteurs de LHCf sont placés dans l’axe du tube à faisceau, à l’endroit où les deux tubes fusionnent et forment une fourche, juste avant la caverne expérimentale. Cette localisation offre l’opportunité de détecter les particules neutres qui sont émises à petit angle (ou leurs produits de désintégration) et qui ne sont pas courbées par les champs magnétiques d’ATLAS et les aimants du LHC.

Si les accélérateurs des anciennes générations ont permis de vérifier les modèles de désintégrations des rayons cosmiques jusqu’à des énergies avoisinant les 1015 eV, LHCf testera ces simulations jusqu’à 1019 eV. Même issues de collisions à plus basse énergie, les données de cette année s’avereront importantes car elles seront situées dans la zone plafond des précédentes expériences.

Pour une information complémentaire sur LHCf, voir Bulletin n° 41 & 42/2006.

CMS annonce son nouveau site web

CMS a ouvert son nouveau site web en préparation de la journée consacrée au premier faisceau du LHC. En découvrant ce site, le lecteur pourra se renseigner sur le détecteur, sur sa conception et sa construction; sur la physique sur laquelle CMS est fondé, ainsi que sur la très large collaboration internationale réunissant environ 3000 chercheurs; il pourra aussi y trouver un grand nombre de ressources multimedia.

Vue de l’expérience LHCf.

«Nous aimerions que le public puisse ainsi partager notre enthousiasme pour CMS», explique le porte-parole de l’expérience Jim Virdee. «Nous espérons que les visiteurs du site auront du plaisir à le parcourir et qu’il deviendra pour eux une précieuse ressource; ces pages seront bien entendu enrichies au fil du temps avec les dernières nouvelles en provenance de la physique.»

Le nouveau site web est disponible à l'adresse:
http://cmsinfo.cern.ch