Les atomes et les antiatomes obéissent-ils aux mêmes lois physiques?

Les physiciens d’ALPHA ont récemment réussi une grande première : « piéger » des antiatomes. Cette capture des atomes les plus simples d’antimatière est un pas important vers l’objectif ultime de la collaboration : la comparaison par spectroscopie de précision de l’hydrogène et de l’antihydrogène. Il s’agit de savoir si les atomes et les antiatomes obéissent aux mêmes lois physiques. Si l’on en croit le modèle standard, ce devrait être le cas.

 

La Collaboration d'ALPHA célèbre l'excellent résultat.

La collaboration ALPHA est passée à la vitesse supérieure en piégeant pour la première fois 38 atomes d’antihydrogène. Depuis 2002, année où ATHENA (le prédécesseur d’ALPHA) et ATRAP ont découvert comment mélanger des nuages d’antiprotons et de positons à des températures cryogéniques, les atomes d’antihydrogène sont produits en masse au Décélérateur d’antiprotons (AD). Cependant, on n’était pas encore parvenu à « emprisonner » ces antiatomes. Ceux-ci, en quelques microsecondes, étaient promis à un triste sort : l’annihilation avec la matière dans les parois de l’expérience.

ALPHA récupère les antiprotons produits au Décélérateur, les piège, puis les refroidit, et enfin les fait interagir avec des positons accumulés grâce à une source radioactive (22Na). Des atomes d’antihydrogène froids se forment dans une « bouteille » magnétique spéciale qui les empêche d’entrer en contact avec la matière environnante et d’être annihilés. L’interaction d’environ 107 antiprotons et 7x108 positons a permis à la collaboration ALPHA d’observer 38 événements d’annihilation suite à la libération maîtrisée de l’antihydrogène piégé. Les atomes d’antihydrogène doivent être produits avec une énergie équivalant à moins de 0,5 degrés au-dessus du zéro absolu, faute de quoi ils s’échappent et s’annihilent. La difficulté était de produire ces atomes très froids et de réussir à détecter des événements d’annihilation rares en présence, par exemple, d’un bruit de fond de rayons cosmiques, ou d’antiprotons rebelles qui s’attardent dans le piège à atomes alors que les particules chargées sont censées être expulsées. Les mordus d’accélérateurs salueront le fait qu’ALPHA ait vidé son piège magnétique à antihydrogène en 30 ms en provoquant une transition résistive (« quench ») au niveau des aimants supraconducteurs du piège. La collaboration a même répété cette opération plusieurs milliers de fois puisque l’expérience a commencé à être exploitée en 2006. Les annihilations sont décelées par un détecteur de vertex au silicium à trois couches comparable à ceux utilisés dans de nombreuses expériences de physique des hautes énergies.

Le théorème CPT (conjugaison de charge, parité et inversion du temps), élément central du fondement théorique du modèle standard, veut que l’hydrogène et l’antihydrogène aient le même spectre. Pratiquer un examen spectroscopique rigoureux de l’antihydrogène permettait de vérifier de façon probante cette symétrie fondamentale de la nature, indépendamment de tout modèle. Or, grâce à sa formidable avancée, ALPHA se rapproche de la possibilité de réaliser ce test. L’article paru sur le site Internet de Nature le 17 novembre a donné lieu à une couverture médiatique mondiale de l’événement, par les chaînes CNN, Al Jazira et bien d’autres. Comme l’a dit un des journalistes : « Cette démonstration de la faisabilité du confinement immatériel d’atomes d’antimatière, même en petit nombre, porte en elle une grande valeur philosophique ».

 

 

 

par Jeffrey Hangst