Le point sur OPERA

Avec trois séminaires organisés au CERN, au Grand Sasso et au Japon, ainsi qu’un article lançant un appel aux lumières de la communauté scientifique, la collaboration OPERA a livré au public le résultat de ses recherches. En sus d’une immense couverture médiatique, cela a eu l’avantage de susciter des réactions de nombreux collègues du monde entier, qui tenteront d'interpréter et de reproduire indépendamment cette mesure. Le porte-parole d’OPERA fait le point pour le Bulletin.

 

L'auditorium principal du CERN était bondé pour la présentation des résultats de recherche d'OPERA par Dario Autiero, coordinateur Physique du projet (23 septembre 2011).

Conformément à sa philosophie, la collaboration OPERA a mis les résultats de ses mesures entre les mains de la communauté scientifique. Cependant, comme c’est toujours le cas avec les résultats scientifiques, il faudra plusieurs mois pour que d’autres groupes puissent procéder à une mesure indépendante. Pour l’heure, la collaboration OPERA traite l’avalanche de courriels qui lui parvient de la communauté scientifique, du grand public et de la presse. « Nous répondons à beaucoup de suggestions intéressantes, explique Antonio Ereditato, professeur de physique des particules à l’Université de Berne et porte-parole d’OPERA. Avec un résultat pareil, nous nous attendions bien sûr à une vive réaction. Nous nous penchons sur toutes les contributions. Certaines des questions concernent des points qui n’ont pas été présentés clairement pendant les séminaires, mais qui seront décrits dans la version définitive de l’article scientifique. »

Jusqu’ici, l’essentiel des réactions semble se concentrer sur les effets de la rotation de la Terre, des subtilités liées à la relativité générale, les technologies utilisées pour mesurer le temps et la distance, et les méthodes d’analyse. « Après avoir examiné tous ces points attentivement, nous n’avons pas encore pu déceler d’effet systématique important susceptible de nous avoir échappé. La communauté vient cependant tout juste de commencer son examen et nous devons être patients », précise Antonio Ereditato.

Le travail de vérification ne fait que commencer. La collaboration OPERA continue d’acquérir des statistiques pour améliorer la qualité de sa mesure. D’autres feront de même au cours des prochains mois. « Même si une autre expérience venait confirmer notre résultat, il resterait prématuré de proclamer que nous avons fait une découverte : nous aurions simplement la preuve que cet effet ne peut pas avoir une explication simple, souligne Antonio Ereditato. Nous allons continuer d’étudier la performance de notre détecteur ; nous allons continuer de passer au peigne fin le moindre détail de l'analyse et nous allons continuer de travailler avec des collègues d'autres collaborations. Même si les neutrinos semblent se déplacer plus vite que la lumière, la science ne doit pas tirer de conclusion hâtive, car la compréhension de la Nature n'est pas un exercice facile. »

 

Le retour des scientifiques

L’équipe du Bulletin s'est adressée à quelques collaborations qui, ailleurs dans le monde, sont susceptibles de reproduire la mesure d'OPERA. Voici leurs réactions :

Borexino

Borexino est une expérience menée dans le même hall souterrain du Laboratoire LNGS qu’OPERA (le Hall C), à environ 20 mètres en amont de la trajectoire des neutrinos venant du CERN. Le détecteur de Borexino est plus volumineux que celui d’OPERA et il peut recueillir un plus grand nombre de statistiques d’événements produits par les neutrinos du CERN.

L’objectif premier de l’expérience Borexino est d’étudier les neutrinos solaires et les géoneutrinos. Pour l'instant, l’expérience n’est pas équipée des dispositifs de mesure temporelle spéciaux nécessaires pour mesurer le temps de vol des neutrinos du CERN avec la précision requise pour vérifier les résultats d’OPERA. Cela exigerait d’installer de nouveaux instruments de mesure du temps.

À la suite de premières discussions, la collaboration Borexino a manifesté son intérêt pour la réalisation d’une mesure indépendante visant à vérifier le résultat d’OPERA. Mais la discussion ne fait que commencer. Elle reste en cours et aucune décision ferme n’a encore été prise.

Selon un scénario optimiste, la collaboration pourrait être en mesure d’acquérir des données pour le début de la période d’exploitation avec faisceau, en février 2012, mais cela présuppose de pouvoir apporter les améliorations nécessaires au préalable ; or, celles-ci ne peuvent pas être pleinement définies pour l’instant.

LVD

La collaboration LVD s’intéresse beaucoup à la question soulevée par la récente mesure d’OPERA. L’expérience vise à détecter l’effondrement gravitationnel des étoiles, mais peut aussi détecter les neutrinos du faisceau du CERN. La collaboration doit toutefois examiner plus en détails si elle est en mesure d’apporter des résultats révélateurs en utilisant son détecteur sous sa forme actuelle ou s’il lui faut le modifier ou y ajouter des éléments pour apporter des contributions utiles.

T2K

Actuellement, sur la base d’une première évaluation du potentiel de l'expérience, T2K ne peut pas se prononcer de manière ferme sur la mesure de la vitesse du neutrino produite par OPERA. La collaboration va évaluer la possibilité d’améliorer la sensibilité de l’expérience en vue d’effectuer une mesure pour vérifier l’anomalie décelée par OPERA à l’avenir. La réalisation de cette mesure, qui implique une amélioration du système, pourrait cependant prendre du temps.

MINOS

La collaboration MINOS prévoit d’effectuer une mesure optimisée de son dernier résultat pertinent (2007), avec une meilleure compréhension des effets systématiques et environ dix fois plus de données. La première étape est prévue dans environ six mois. Une nouvelle amélioration (déjà planifiée) conduira à l’expérience MINOS+, qui débutera en 2013 et devrait fournir des statistiques très élevées à plus haute énergie. Cela devrait permettre une marge d’erreur totale de 5 à 10 ns.

par CERN Bulletin