OPERA a détecté les premières oscillations de neutrinos

À 1400 mètres sous terre, au laboratoire du Gran Sasso de l’INFN, l’expérience OPERA vient de détecter un premier candidat dans la recherche d’une preuve directe de l’oscillation des neutrinos, ce phénomène qui confirmerait que les neutrinos possèdent une masse. C’est la première fois qu’une expérience observe l’apparition directe de neutrinos d’un autre type, résultant de l’oscillation. OPERA utilise un faisceau produit spécialement par le Supersynchrotron à protons (SPS) du CERN.

 

Trajectoire du premier événement candidat observé par l'expérience OPERA.

Les neutrinos, qui sont présents en abondance dans les rayons cosmiques, jouent un rôle dans plusieurs des réactions nucléaires qui se produisent dans le Soleil ainsi que dans les désintégrations radioactives. Malgré leur grand nombre, ils n’ont pas encore révélé tous leurs secrets. Les neutrinos, dont il existe trois types (le neutrino de l’électron, le neutrino du muon et le neutrino du tau), ont notamment pour particularité de pouvoir se transformer en neutrinos d’un autre type. Ce phénomène physique, dont Bruno Pontecorvo a été le premier à postuler l’existence dans les années 1950, est connu sous le nom d’oscillation de neutrinos. L’observation de ce phénomène dans la nature apporterait la preuve que les neutrinos ont une masse non nulle, bien que très petite.

Le faisceau envoyé par le CERN au laboratoire du Gran Sasso, en Italie, sur une distance de 732 km, est essentiellement composé de neutrinos du muon, avec une petite contamination résiduelle d'antineutrinos qui n'affecte pas les mesures réalisées par OPERA. « Chaque jour d’exploitation, le CERN nous envoie des milliards de neutrinos du muon, explique Antonio Ereditato, porte-parole d’OPERA. Toutefois, la cible d’OPERA n’enregistre qu’une vingtaine d'interactions de neutrinos par jour. Nous procédons alors à l’analyse minutieuse de ces événements pour déterminer si l'on y détecte la signature d'un neutrino du tau, absent de la composition initiale du faisceau. » Cette apparition apporterait une preuve sans équivoque de l’oscillation d'un neutrino, et par là de la masse non nulle des neutrinos.

Les premières observations d’oscillation du neutrino ont été réalisées par SuperKamiokande en 1998. « Plusieurs autres expériences menées en Europe, aux États-Unis et au Japon s’intéressent à ce phénomène, ajoute Antonio Ereditato. Elles étudient les oscillations de neutrinos en mesurant le nombre de neutrinos d’un type donné ayant « disparu » d’un faisceau. L’expérience OPERA est la seule dans le monde à se consacrer exclusivement à détecter l’« apparition » de neutrinos du tau issus de l’oscillation de neutrinos du muon, ce qui devrait se produire en vol au cours de leur périple de 732 km. »

Le même événement, présenté à une échelle de 200 micromètres.


OPERA exploite un faisceau produit spécialement par le CERN et qui envoie des protons de haute énergie provenant du SPS sur une cible en graphite. Les particules créées lors de cette interaction sont notamment des pions et des kaons positifs, qui vont ensuite se désintégrer pour produire des neutrinos du muon. « Le CERN et le laboratoire de l’INFN au Gran Sasso ont travaillé en collaboration pour définir l’énergie et les propriétés du faisceau afin qu’il réponde le mieux possible aux besoins des expériences », explique Lucia Votano, directrice du Laboratoire du Gran Sasso. « OPERA a reçu à l’heure actuelle environ un cinquième du nombre total de particules attendues pendant toute la durée du programme. Le détecteur a enregistré son premier événement candidat pour le tau, mais il nous faudra poursuivre l’acquisition des données, puis procéder à leur analyse avant de pouvoir présenter à la communauté scientifique les résultats concluants », ajoute Antonio Ereditato.

OPERA n’est pas un détecteur polyvalent, mais il comporte un appareillage très complexe et est doté d’une importante infrastructure auxiliaire. Son cœur se compose de 150 000 briques (voir encadré) qui permettent de visualiser les trajectoires de ces particules insaisissables. « Jusqu’ici, nous avons analysé près de 10 000 briques. Pour ce faire, nous disposons de dizaines de microscopes automatiques répartis entre les instituts qui participent à l’expérience à travers le monde. La lecture est si précise que nous obtenons une résolution inférieure au micron dans nos mesures des trajectoires des particules», poursuit Antonio Ereditato.

« Les résultats des expériences sur les neutrinos menées actuellement en différents endroits seront déterminants pour l’avenir de la physique des neutrinos, conclut Lucia Votano. J’espère que le CERN continuera de s’impliquer activement dans la physique des neutrinos et que le CERN et le Gran Sasso poursuivront leur collaboration dans ce domaine si prometteur. »


 

L’expérience OPERA

L’appareillage d’OPERA se compose de deux parties. La première consiste en une série de 62 murs parallèles faits de 150 000 briques composées de couches alternées de plomb et d’émulsion, qui enregistrent le passage des particules issues de l’interaction des neutrinos. Chaque brique se compose de 56 feuilles de plomb et de 57 feuilles d’émulsion photographique. Au total, les 150 000 briques contiennent près de 10 millions de films. La seconde partie consiste en une série de détecteurs électroniques complémentaires (trajectographes, aimants, etc.) qui marquent les interactions de neutrinos en temps réel, en donnant la localisation précise des briques où l’interaction de neutrinos s’est produite. Les briques ainsi signalées sont ensuite extraites des murs et les films sont développés et scannés au moyen de microscopes à balayage commandés par ordinateur.



 

par CERN Bulletin