Collisions protons-ions : dans les coulisses d’une interaction exotique

Des protons à droite, des ions à gauche : le principe de base des collisions protons-ions dans le LHC peut paraître simple. Il s’agit pourtant d’un mode d’exploitation d’un collisionneur presque sans précédent, et certainement unique à l’énergie fournie par le LHC. En plus de constituer une prouesse technique remarquable, cette interaction entre des protons et des ions pourrait faire progresser notablement notre compréhension des propriétés de la matière dans son état primordial.

 

Jusqu’à la semaine dernière, le LHC avait fait entrer en collision uniquement des protons avec des protons, et des ions plomb avec des ions plomb. Ce sont en effet les deux modèles d'exploitation pour lesquels le LHC a été conçu. Toutefois, en sciences, les choses peuvent évoluer dans des directions non nécessairement prévues en début de projet. Au fil des années, la communauté scientifique s'est intéressée de plus en plus à une interaction de type hybride : celle entre des protons et des ions. Pour les équipes participant au fonctionnement du LHC, les collisions de la semaine dernière n’étaient qu’un test en vue de l’exploitation de 4 semaines prévue en 2013. Mais pourquoi ces collisions sont-elles si intéressantes pour les physiciens ?

« L’intérêt d’étudier ce type d'interaction est double, explique Urs Wiedemann, de l’unité Théorie du CERN. Non seulement elles pourront servir d’élément de comparaison pour les collisions ions-ions, mais elles pourraient fournir des indications précieuses sur une partie encore inexplorée de la chromodynamique quantique (QCD), le modèle qui décrit entre autres le comportement des noyaux, des protons et des quarks ; un domaine dans lequel de nouveaux phénomènes sont attendus. »

Grâce aux observations faites au LHC et dans d’autres collisionneurs, nous savons déjà que lorsque deux faisceaux d’ions entrent en collision, un nouvel état de la matière se forme : le plasma de quarks et de gluons, la matière chaude et dense qui a existé dans les premiers instants de l’Univers. Le LHC permet de sonder les propriétés de cet état en observant comment les particules de haute énergie produites lors de la collision sont stoppées par cette matière. « Afin de mieux comprendre ce que la suppression de particules de haute énergie peut nous apprendre sur les propriétés du plasma quarks-gluons, nous voulons étudier la manière dont ces mêmes processus sont atténués quand ils ont lieu dans la matière nucléaire froide qui se forme lors des collisions protons-ions, continue Urs Wiedemann. La suppression des particules de haute énergie n'est qu'une des mesures pour lesquelles les effets de la matière nucléaire froide peuvent fournir les éléments de comparaison dont nous avons besoin pour améliorer notre compréhension des collisions d’ions lourds. »

La semaine dernière a eu lieu la première collision entre un faisceau de protons de haute énergie et un faisceau d’ions plomb dans le LHC. L’énergie de collision était plus de dix fois supérieure à celle des expériences précédentes. La communauté scientifique a l'espoir que ces collisions apporteront aussi des indices sur un phénomène connu sous le nom de « saturation partonique » en chromodynamique quantique. « La théorie nous apprend que, quand nous examinons l'intérieur d'une particule composée de quarks et de gluons, par exemple un proton, le nombre de ses composants fondamentaux varie selon le verre grossissant à travers lequel nous l’observons, c’est-à-dire selon l’échelle physique déterminée par le transfert d’impulsion, explique Urs Wiedemann. Et si le grossissement demeure constant et que l’énergie de la particule augmente, la théorie nous dit que le nombre de constituants (les partons) observés à cette échelle augmente. Il y a cependant des raisons fondamentales de penser que, à une haute valeur de l’énergie encore inconnue, cette augmentation du nombre de constituants énergétiques doit aboutir à une saturation ; cette saturation a lieu quand la densité de partons devient tellement forte que toute augmentation supplémentaire de cette densité est compensée par la probabilité que les partons se rencontrent et se recombinent. »

« Ce phénomène de saturation devrait se produire plus tôt dans le cas des noyaux de plomb que dans celui des protons, simplement parce qu’ils contiennent plus de partons, continue Urs Wiedemann. En l’absence d’un collisionneur électrons-ions, les collisions entre protons et noyaux sont pour nous le meilleur moyen de progresser sur la question de l’échelle à laquelle ce phénomène de saturation de partons a lieu en QCD. Et en augmentant l'énergie du centre de masse dans les collisions protons-noyaux d’un facteur supérieur à 10 par rapport aux expériences précédentes, nous abordons une large gamme d’énergies, jusqu’ici inexplorée, nous permettant d’étudier cette question. »

Grâce aux collisions protons-plomb de très haute énergie, les expériences du LHC pourraient être les premières à observer ce phénomène de saturation. Une première exploitation pour la physique des collisions protons-plomb, commencera en janvier 2013.


Des détails techniques sur la production de ces collisions protons-ions sont disponibles dans Les dernières nouvelles du LHC.

par Antonella Del Rosso