Douleurs de croissance
Le chaud dilate, le froid contracte : c'est une règle de base en thermodynamique. Dans le cas du système cryogénique du LHC, dont la circonférence est de 27 km et où la température passe de 300 K à près du zéro absolu, cela pourrait signifier une contraction de 80 m. Le rôle des compensateurs, également appelés soufflets, est de contrebalancer ce phénomène en s’étirant ou en se comprimant en fonction des variations thermodynamiques. Les tests d’étanchéité et les radiographies effectuées dans le tunnel ont révélé que ces « joints » semblent souffrir de « douleurs de croissance »…
Avant de procéder au réchauffement lors du LS1, les experts en cryogénie du CERN avaient connaissance de deux fuites d’hélium dans le système de distribution cryogénique de la machine. Fort heureusement, ces fuites étant minimes et limitées à certains sous-secteurs de la ligne cryogénique, le problème a pu être facilement résolu avec l’aide de l'équipe chargée du vide (TE-VSC).
Cependant, lors du réchauffement de la machine pendant le long arrêt, l’équipe de la cryogénie a soupçonné l'existence d'un problème de plus grande envergure. « À mesure que la température de la machine remontait, cinq fuites similaires ont été décelées dans le système, relève Krzysztof Brodzinski, membre de l’équipe chargée de l’exploitation cryogénique du LHC au sein du département Technologie (TE-CRG). En collaboration avec des collègues du groupe EN-MME, nous avons procédé à des radiographies des sous-secteurs aux endroits où les problèmes initiaux avaient été découverts et avons constaté que les compensateurs avaient subi des déformations importantes. »
L’origine de ces déformations étant inconnue, les experts du département Ingénierie ont été chargés de procéder à un examen métallurgique des soufflets déformés. Cet examen a révélé qu’une soudure défectueuse comportant une fissure de 25 μm était probablement la cause de la fuite d’hélium supercritique entre les fines couches des soufflets (voir l’image ci-contre). À mesure que la température du système remontait, l’hélium, en se dilatant, s’est forcé un passage à travers les parois des soufflets. « Le réchauffement du complexe du LHC prend plusieurs semaines, mais il s’agit d’une durée très courte par rapport aux années d’exploitation du LHC durant lesquelles l’hélium s’était infiltré entre les fines couches internes des soufflets, explique Krzysztof Brodzinski. L’hélium n’a pas eu suffisamment de temps pour s’échapper par la fissure. Lors du réchauffement, l’hélium "pris au piège" s’est dilaté et a endommagé les fines couches restantes des compensateurs. »
Ce mystère résolu, l’équipe de la cryogénie évalue à présent l’ampleur du problème. Alors que sept fuites étaient clairement visibles dans le système, les radiographies ont permis de détecter un huitième soufflet déformé qui n’avait pas encore commencé à fuir. « Cette découverte nous a poussés à prendre la décision de radiographier l’ensemble des compensateurs de la ligne cryogénique principale et de réparer les soufflets défectueux avant qu’ils ne posent problème, explique Krzysztof Brodzinski. Les tests se poursuivent et le nombre total de soufflets défectueux est pour l’instant de huit. »
Les soufflets défectueux seront remplacés et les nouveaux testés d’ici fin février 2014. Lors de ces remplacements, on appliquera une nouvelle technique de soudage et une procédure de contrôle adaptée (mise au point en collaboration avec l’équipe TE-VSC), qui devrait empêcher l’apparition de nouveaux défauts.
par Katarina Anthony