ALICE et LHCb : peaufiner le démarrage
Alors que la date de redémarrage du LHC s’approche à grands pas, le Bulletin revient sur la façon dont les six expériences LHC se préparent et sur leurs activités depuis septembre dernier. Dans le numéro précédent, nous avons évoqué CMS et ATLAS ; cette semaine, nous passerons en revue les activités des 10 derniers mois à ALICE et LHCb.
Cette année a été pour LHCb l’occasion d’installer la cinquième et dernière paroi de chambres à muons, ce qui améliorera le déclenchement à la luminosité nominale. C’est le dernier élément de l’expérience à être installé. « À présent, le détecteur ressemble exactement au schéma figurant dans le rapport technique de conception, confirme Andrei Golutvin, porte-parole de LHCB.
Nous avons profité de cet arrêt pour réaliser plusieurs améliorations. Ainsi, nous avons modifié le système haute tension du calorimètre électromagnétique afin de réduire le bruit à un niveau négligeable. Nous avons également pris quelques mesures pour améliorer le vieillissement du trajectographe extérieur sous l’effet du rayonnement. Et nous avons remplacé quelques photodétecteurs hybrides (HPD) inefficaces du détecteur RICH afin d’obtenir une performance optimale »
Contrairement à ce qui se passe pour les autres expériences du LHC, il n’est pas facile d’aligner LHCb au moyen des rayons cosmiques. « L’utilisation des rayons cosmiques est compliquée pour LHCb parce que notre détecteur a une géométrie horizontale, explique Golutvin, et comme il est situé en grande profondeur sous terre, il est très difficile de sélectionner les traces « horizontales », qui sont beaucoup moins fréquentes.
Toutefois, nous avons réussi à rassembler suffisamment de données de cosmiques pour pouvoir synchroniser les grands sous-systèmes, tels que le trajectographe extérieur, les calorimètres et les chambres à muons. » À terme tous les détecteurs de LHCb devront être synchronisés à la nanoseconde près. De plus, les traces de rayons cosmiques sont utilisées pour aligner spatialement le trajectographe extérieur. Toutefois, à proximité du tube de faisceau se trouvent les détecteurs les plus sensibles, le localisateur de vertex (VELO) et le trajectographe interne. « Pour ceux-là, il est impossible de réaliser l’alignement uniquement au moyen de rayons cosmiques, explique Golutvin.
Heureusement, LHCb est situé très près du point d’injection du LHC, et, lors des essais de la ligne de transfert entre SPS et LHC, le faisceau est envoyé dans un bloc d’arrêt de faisceau, ce qui produit des muons qui traversent LHCb horizontalement. Pour nous, c’est vraiment utile. Le flux de particules est extrêmement dense, environ 10 particules par cm2. Nous utilisons ces traces pour aligner le détecteur de vertex et le trajectographe interne avec une précision de quelques microns. »
Toutefois, il y a un inconvénient à être placé si près du point d’injection. « Nous devons faire attention à ne pas détruire le détecteur de vertex pendant la procédure d’injection, précise Golutvin. C’est pourquoi le VELO est constitué de deux moitiés qui peuvent s’écarter du faisceau d’environ 3 cm, ce qui protège le détecteur pendant l’injection. « Il est très important de tester le mécanisme, ce que nous avons fait lors du dernier test d’injection. Nous en avons même fait une sorte de compétition – les personnes reconstituant les traces ne connaissaient pas la distance séparant les deux moitiés du VELO et devaient la déterminer à partir des données. Certains ont trouvé le bon chiffre, à quelques microns près, et ont eu droit à une boîte de chocolats. » Il y aura au moins un autre de ces essais avant le démarrage, ce qui permettra d’améliorer encore l’alignement.
« Une fois finalisés les travaux sur le détecteur, les activités de mise en service continueront jusqu’aux premières collision, poursuit Golutvin. Nous utiliserons aussi le temps qui reste avant le démarrage pour nous préparer aux résultats pour la physique. Il y a différentes phases dans le scénario de démarrage du LHC au cours de la première année ; nous voulons établir comment utiliser au mieux la luminosité disponible au cours de ces trois phases. Nous sommes en train d’explorer le secteur du charme, par exemple, où il n’est pas nécessaire de disposer d’une luminosité élevée pour être compétitif avec d’autres expériences. »
Communication extérieure
Avant que la caverne soit fermée au public, LHCb a inauguré la nouvelle exposition au point 8 juste avant le premier faisceau en septembre dernier. « À cause de cet arrêt, nous avons pu emmener de nombreux visiteurs supplémentaires voir LHCb, explique Bolek Pietrzyk, contact pour la communication extérieure de LHCb. En fait, entre le retentissement médiatique du démarrage et le film Anges et démons, nous avons eu cette année plus de visiteurs que jamais. »
Entre les visites organisées par le CERN, et celles organisées à titre privé, plus de 65 000 personnes ont déjà visité la caverne du point 8 cette année. Nous allons continuer les visites aussi longtemps que possible, jusqu’à fin octobre peut-être » ajoute Pietrzyk.
Même après le redémarrage du LHC, il restera beaucoup à voir en surface – d’ailleurs, cette année, 6000 autres personnes ont visité le point 8 sans descendre dans la caverne. Dans la nouvelle exposition, les visiteurs peuvent voir des pièces réelles du détecteur et effectuer une visite virtuelle. (On peut voir les panneaux de l’exposition. LHCb dispose également d’une nouvelle brochure.)
Étant une expérience consacrée à l’antimatière, LHCb a bénéficié de beaucoup d’attention supplémentaire en raison du film Anges et démons. Étant donné l’intérêt du public pour l’antimatière, de nombreux physiciens de LHCb se sont vus encore plus sollicités pour des conférences. « C’est pourquoi nous voulons essayer de rassembler des ressources intéressantes, sous forme d’images et d’animations, qui pourront être utilisées par les personnes donnant des conférences dans des universités, par exemple, explique Emma Stokes, qui élabore ces nouveaux supports. Nous voulons aussi créer des kits pour les enseignants du secondaire, et préparer un manuel expliquant comment réaliser des expériences simples à partir de matériel facile à se procurer et à utiliser en classe. Ainsi, appliquer un aimant sur un écran cathodique permet de montrer comment les particules chargées sont déviées par un champ magnétique. »
ALICE
Ayant déjà procédé à une série d’essais au moyen de rayons cosmiques, l’équipe d’ALICE a décidé de commencer immédiatement les travaux de consolidation après l’arrêt survenu à l’automne dernier. « Nous avons voulu utiliser ce temps supplémentaire pour apporter des améliorations, explique Paul Kuijer, porte-parole adjoint de l’expérience ALICE. Nous nous sommes par exemple rendu compte que l’accès au système de trajectographie principal, la chambre à projection temporelle (TPC), était plutôt difficile, ce qui aurait pu allonger de façon déraisonnable le temps de maintenance et de réparation à l’avenir ; nous avons donc passé beaucoup de temps à déplacer tout le câblage du système de trajectographie interne pour libérer plus d’espace et permettre un meilleur accès. » Cette opération d’envergure a été menée d’octobre 2008 à juillet 2009. Tous les câbles et les services ont été testés à nouveau et le système de trajectographie interne est à présent reconnecté.
Des travaux de maintenance ont également été avancés dans d’autres zones, avec par exemple le remplacement d’un certain nombre de condensateurs sur la TPC, pour lesquels on suspectait une durée de vie réduite. L’arrêt a aussi été l’occasion d’installer plusieurs nouveaux systèmes de détection, qu’il était prévu de mettre en place après la première période d’exploitation du LHC. Des détecteurs à rayonnement de transition (TRD) supplémentaires ont été installés et une partie plus importante du détecteur de multiplicité de photons (PMD) est maintenant en place. Mais l’ajout le plus important est le nouveau calorimètre électromagnétique (EMCAL).
Le calorimètre EMCAL, qui est déjà en partie installé, est un ajout très récent au détecteur ALICE et son financement (par les États-Unis, la France et l’Italie) n’a été approuvé que début 2008. Son installation signifie qu’ALICE est maintenant à même d’effectuer des mesures plus étendues sur les photons et les hadrons neutres (indétectables par le système de trajectographie), ainsi que sur les hadrons chargés des jets émis lorsque quarks et gluons se recombinent après avoir formé un plasma (ce qui est crucial pour pouvoir déterminer l’énergie totale des jets).
Début 2009, le spectromètre à muons a relevé des données sur les rayons cosmiques pendant plusieurs semaines, ce qui a permis de procéder à une première vérification de l’alignement interne du système. Cette tâche est toutefois délicate, car le spectromètre à muons est conçu pour être seulement sensible aux muons dont la trajectoire est horizontale. Heureusement, tout comme le LHCb, ALICE a aussi eu l’occasion d’utiliser les « muons horizontaux » créés lors de l’essai du système du transfert du LHC. Dans cet essai, dit essai d’exploitation TED, les paquets de particules envoyés depuis le SPS dans la ligne de transfert sont dirigés vers un absorbeur de faisceau, ce qui crée une gerbe de particules qu’ALICE peut éventuellement détecter (voir la vidéo sur la chaîne YouTube du CERN).
« Cela s’est révélé très utile, indique P. Kuijer, car l’année dernière nous n’avions pas osé mettre en service l’intégralité du détecteur pendant l’essai d’exploitation TED, par peur de provoquer des dégâts. Cependant, nous avons pu déterminer la densité du faisceau grâce aux données récoltées l’an passé, si bien que lorsque des essais d’injection ont été effectués sur le LHC il y a deux semaines, nous avons pu faire fonctionner la plupart des détecteurs de déclenchement, ce qui nous a permis d’affiner leur synchronisation, » explique P. Kuijer. Des données obtenues grâce à la ligne de transfert ont également été utilisées pour aligner les sous-détecteurs dont l’orientation ne permet la calibration par des rayons cosmiques, à savoir les détecteurs à petits angles.
Avant le très attendu redémarrage du LHC, la collaboration effectuera un autre essai d’exploitation de l’intégralité du détecteur au moyen de rayons cosmiques, entre août et octobre. « Nous pourrons être plus efficaces cette année, car nous savons désormais comment mieux faire fonctionner le détecteur. Nous avons également développé un autre système de déclenchement dérivé des modules du détecteur de temps de vol (TOF), pour améliorer le déclenchement aux muons. » Cet essai d’exploitation permettra à ALICE de valider les améliorations et les nouveaux détecteurs installés au cours des 10 derniers mois, et aidera le personnel à se préparer à l’exploitation en continu qui suivra le redémarrage du LHC.
Communication extérieure
Le nombre de visiteurs dans la caverne d’ALICE a fortement augmenté cette année. « Les visiteurs reçus cette année se comptent certainement en milliers, indique Despina Hatzifotiadou, coordinatrice des activités de communication d’ALICE. « Notre expérience n’a jamais fait partie des itinéraires officiels de visite, si bien que les premiers visiteurs étaient les proches et les amis des membres des équipes ; des visites ont ensuite été organisées pour les écoles et les universités, et l’engouement n’a cessé de croître, surtout du fait de l’intérêt suscité par le premier faisceau. »
Comme toutes les autres expériences du LHC, ALICE sera fermée au public lorsque le LHC redémarra ; il est donc question d’agrandir l’espace d’exposition du point 2. « Une fois que nous aurons fini d’installer les nouveau éléments du détecteur, nous aurons une idée beaucoup plus claire de l’espace disponible et nous pourrons alors prévoir l’agrandissement de l’exposition, pour qu’il reste des choses à voir une fois que l’accès à la caverne sera fermé. »