Pas de frontières pour les technologies de l’information

Le fossé technologique entre pays industrialisés et pays en développement se creuse de plus en plus rapidement. Une organisation fondée au CERN, Informaticiens sans frontières (ISF), espère modifier cette tendance grâce à son programme actuel, MANGO NET. Elle a pour objectif de mener les pays en développement, et en premier lieu ceux du continent africain, à utiliser les technologies de l’information pour influer favorablement sur leur économie, leur éducation et leur mode de vie.



Les technologies de l’information ont été introduites depuis longtemps dans les pays africains, mais des problèmes de taille ont empêché la généralisation de leur utilisation, notamment le taux d’alphabétisation, très bas dans les petites communautés africaines. « L’interface utilisée pour faire fonctionner un ordinateur requiert de savoir lire et écrire, explique Silvano de Gennaro, membre du groupe Communication du CERN et président d’ISF. La technologie seule n’est pas la solution, nous devons l’adapter au niveau culturel et aux aptitudes des gens qui la reçoivent. » Par ailleurs, le prix d’achat et de fonctionnement d’un ordinateur est souvent inabordable par rapport au coût moyen de la vie dans ces pays : pour beaucoup, passer 3 heures dans un cyber café coûte le salaire d’une journée entière de travail. Les obstacles politiques, géographiques et financiers sont autant d’autres problèmes.

Les universités africaines font également face à de grandes difficultés. Sans ressources informatiques de base, il est pratiquement impossible de participer aux travaux de recherche actuels. Les enseignants et les étudiants doivent souvent partager un nombre limité d’ordinateurs pour apprendre et rester informés sur leur domaine. Mener des expériences et communiquer des résultats est souvent hors de leur portée. « Il manque vraiment aux étudiants l’élément à la base du développement des technologies de l’information : l’ordinateur » poursuit Silvano de Gennaro.

Basé au CERN, ISF a été fondée en 2003 à la suite de discussions lors du Sommet mondial sur la société de l’information (SMSI). L’organisation a déjà abordé les questions liées aux technologies de l’information sous différents angles, par les trois autres programmes qui ont précédé MANGO NET : recyclage d’ordinateurs, LIFE (Linux Integrated Free Environment) et AFRICA@home (voir encadré).

Après ces premières actions, ISF travaille maintenant sur MANGO NET (Made in Africa NGO NETwork), programme dont l’objectif est de développer à l’échelle du continent un réseau d’écoles et de laboratoires de production pour apprendre aux étudiants en informatique comment assembler des ordinateurs. « Ce programme créera une source d’ordinateurs prêts à l’emploi qui n’auront pas à être importés d’autres pays, indique Silvano de Gennaro. Les coûts de départ pour le matériel seront bien plus bas, car les pièces seront achetées en gros et les ordinateurs seront assemblés et commercialisés à l’intérieur du continent. » Les étudiants seront formés non seulement à l’assemblage des ordinateurs, mais aussi à l‘appui technique aux utilisateurs de l’interface LIFE basée sur Linux. MANGO NET servira de base au développement d’une industrie informatique africaine capable de conserver ses capitaux à l’intérieur des pays participants.

En tant que coordinateur pour les États non-membres, John Ellis (également chef de la recherche théorique au CERN) participe aussi au programme d’ISF. Il considère ce dernier comme un outil précieux pour donner aux universités africaines la chance de prendre part aux recherches du CERN, et a mis l’accent sur ce besoin lors d’un récent colloque sur ISF, en montrant une carte du monde faisant apparaître tous les États membres et non-membres du CERN, situés sur tous les continents à l’exception notable de l’Afrique. Ben Segal, membre honoraire du personnel du CERN, soutient également l’initiative d’ISF. À la tête des équipes qui ont écrit les programmes AFRICA@home et LHC@home, il voit un futur à l’application de ces technologies dans les pays en développement. Avec ISF, John Ellis et Ben Segal aident tous deux les universités à se doter de ces technologies.

Le saviez-vous ?

Le programme de recyclage d’ordinateurs a duré quelques années, mais a finalement été abandonné car les efforts considérables et le temps investis n’ont donné que de maigres résultats. Les ordinateurs récoltés ne disposaient que d’une puissance très limitée, car ils provenaient souvent de la grille de calcul du CERN, où cartes graphiques et grandes quantités de RAM ne sont pas nécessaires. Le programme LIFE qui a pris la suite, a permis la création d’un logiciel convertissant Linux en une interface conviviale qui peut être utilisée comme ressource pédagogique, car, dans son niveau basique, elle n’exige pas de savoir lire et écrire. AFRICA@home est un projet BOINC (Berkeley Open Infrastructure for Network Computing – plateforme de calcul partagée) utilisant les ordinateurs personnels des ménages du monde entier pour établir des prédictions précises sur la propagation du paludisme.

Une fois que les équipements des universités auront atteint le niveau des standards internationaux, l’excellence sera possible. « Nous souhaiterions donner aux universités africaines la capacité de se joindre à la recherche internationale : une chance de pouvoir véritablement mener des recherches, déclare Silvano de Gennaro. Au lieu de priver les pays africains de leurs scientifiques en les faisant venir travailler en Europe, nous voulons leur apporter la Grille de calcul. Avec la Grille, ils seront à même de prendre part aux programmes internationaux de recherche, comme le LHC par exemple. »

Bien que MANGO NET n’en soit qu’au stade préliminaire, il a rapidement eu un écho en Europe et en Afrique, où il reçoit un soutien croissant. « Les universités participantes joueront un grand rôle dans le programme, car elles fourniront enseignants et ressources informatiques ; nous cherchons par ailleurs à déterminer si des dons de pièces détachées de la part d’entreprises informatiques comme Sony et Toshiba sont possibles, conclut Silvano. Pour construire le chemin du développement, il faut en premier lieu poser les fondations de la science et bâtir une infrastructure compétitive pour la recherche. »

Pour participer aux programmes d’ISF, contactez Silvano de Gennaro : mailto:Silvano.de.Gennaro@cern.ch.