Interview avec le Directeur général

Lors de sa session de mars, le Conseil a pris la décision de prolonger le mandat de Rolf Heuer jusqu'à fin 2015. Que pouvons-nous attendre de ces deux années supplémentaires ?

 

Les exemples de prolongation de mandat du Directeur général sont rarissimes. Le dernier date des années 80, lorsque Herwig Schopper avait occupé cette fonction pendant huit années consécutives. Dans le cas qui nous intéresse, la proposition a été faite par la délégation belge ; nous avons donc demandé à Walter Van Doninck, membre de cette délégation, pourquoi le Conseil a pensé que les circonstances actuelles justifiaient une prolongation de mandat. « Il nous a semblé nécessaire d’avoir une stabilité de la direction lors de la première période d'arrêt prolongé, étant donné l'importance de la tâche à réaliser, explique-t-il. C’est ce qui a motivé notre proposition de prolonger le mandat de l'actuel Directeur général. » James Gillies s’est entretenu avec le professeur Heuer pour connaître les projets qu’il compte mener à bien au cours de ces deux années supplémentaires.

James Gillies : Avant toute chose, quel sentiment avez-vous concernant vos années en tant que Directeur général ?

Rolf Heuer : Le sentiment d’être à mi-parcours ! Plus sérieusement, je pense que l’Organisation a parcouru beaucoup de chemin au cours des trois dernières années. Je suis plutôt satisfait des initiatives que nous avons lancées, même si par ailleurs il reste beaucoup à faire dans des domaines aussi variés que le programme de recherche, qui reste ma première préoccupation, l'ouverture à de nouveaux membres ou encore le parti que l’on peut tirer de l’intérêt suscité par le LHC et de sa couverture médiatique au bénéfice de la science dans son ensemble.

JG : Quels objectifs aimeriez-vous que le CERN atteigne avant la fin de votre mandat ?

RH : À la fin de mon mandat, j’aimerais laisser un complexe d’accélérateurs fonctionnant sans accroc permettant d’aborder un large éventail de domaines de recherche et un programme d'exploitation du LHC défini pour 15 ans déjà en cours de réalisation. Pour faire en sorte que ces objectifs deviennent réalité, nous devons veiller à ce que notre infrastructure soit à la hauteur de la tâche. C'est pourquoi mon but est de voir le processus de consolidation atteindre sa maturité. Je voudrais voir émerger une vision claire du prochain projet de physique des particules d'envergure mondiale, à laquelle la mise à jour de la stratégie européenne pour la physique des particules pourrait apporter une contribution importante. J’espère également que le CERN aura bien avancé s’agissant des adhésions et des accessions au statut d’État membre associé.

JG : Allez-vous consacrer beaucoup de temps aux rencontres avec de potentiels nouveaux États membres ?

RH : Je prévois un nombre considérable de déplacements pour l’année prochaine, et peut-être pour celle d'après, pour préparer le terrain. J’espère qu’ainsi les choses seront en très bonne voie.

JG : Comment pensez-vous que les relations entre le CERN et les autres principaux laboratoires de physique des particules vont évoluer ?

RH : Les relations entretenues par le CERN avec les autres acteurs majeurs du domaine sont très bonnes et seront, selon moi, encore meilleures dans les années à venir. Lorsqu’un pays choisit de devenir membre ou membre associé de l’Organisation, rien ne l’empêche de participer à des projets mis en place par d’autres laboratoires. De même, le CERN peut jouer un rôle de premier plan dans des projets d’envergure internationale mis en place dans d’autres régions, si les choses évoluent dans ce sens. Cependant, en tant que Directeur général, je me dois de plaider en faveur de l’accueil par le CERN du successeur du LHC.

JG : Quelles sont vos attentes pour la période d’arrêt prolongé ?

RH : La plus grande priorité est de faire en sorte que le LHC puisse fonctionner à des énergies supérieures, ce qui représente une tâche colossale. En 2013, nous ne ferons pas fonctionner la chaîne d’accélérateurs, car toutes les équipes travailleront sur le LHC. Ceci étant dit, je veux m'assurer que nous allons tirer le meilleur parti de cette période, en maintenant l’intérêt du public pour le CERN et en préparant le 60e anniversaire du Laboratoire, en 2014 – anniversaire qui sera, je l'espère, célébré dans chacun des États membres. L’arrêt prolongé sera également l’occasion de réfléchir aux perspectives du programme hors LHC.

JG : La situation financière internationale est-elle pour vous un sujet d’inquiétude ?

RH : Cette question sur la crise économique et ses conséquences pour le CERN m’est posée à chacune de mes interventions. C’est la raison pour laquelle nous devons beaucoup travailler pour faire connaître les bénéfices de nos recherches pour la société, et veiller à ce que les efforts soient plus équitablement répartis par le biais de l’ouverture à de nouveaux membres.

JG : La sensibilisation du grand public est un thème majeur pour vous. Quelles sont les actions à mener dans ce sens ?

RH : Sans parler des raisons purement altruistes qui poussent le CERN à susciter l’intérêt du grand public, cette question est étroitement liée à la précédente. Notre vie dépend de plus en plus de la science, et de nombreux problèmes de société sont liés à des problématiques complexes mêlant politique et science. Si nous voulons avancer, nous devons faire de la science une partie intégrante de notre société.

JG : Est-ce que la structure de direction va connaître des changements ?

RH : Nous avons une bonne équipe, dont le mandat se termine fin 2013. La structure actuelle fonctionne bien, je ne prévois donc pas de changement dans l'immédiat. En outre, comme l’a dit le Conseil, nous avons besoin de continuité. C’est pourquoi les changements seront de l’ordre de l’évolution et non de la révolution. Nous vivons un moment important de l’histoire du CERN, qui nécessite une stabilité de l’équipe dirigeante.

JG : Voyez-vous quelque chose à ajouter ?

RH : J'aimerais remercier tous les membres de la communauté du CERN pour leur dévouement indéfectible. On me demande souvent comment la gestion de communautés aussi étendues peut être assurée avec des structures aussi réduites. La réponse est simple : lorsque l’équipe est composée de personnes toutes très motivées pour atteindre un même objectif, la tâche en est facilitée. Je voudrais ajouter que mon mandat sera, je l’espère, caractérisé par l’ouverture et l’échange. Dans cet esprit, je renouvelle mon invitation à l’attention de tous les Cernois, pour qu’ils me fassent savoir, par l’intermédiaire du Bulletin, quels sujets ils souhaiteraient me voir aborder dans mes messages. Je ne garantis pas d’évoquer tous les sujets, mais je m’engage à faire de mon mieux.

par James Gillies