Le collisionneur du futur ?

Pourquoi deux études parallèles pour un même collisionneur linéaire ? Loin d’être un double effort et un gaspillage de ressources, ces deux études s’inscrivent dans une stratégie de complémentarité afin de fournir la meilleure technologie requise par la physique du futur. Vendredi 12 juin a eu lieu au CERN la première réunion conjointe de CLIC et de ILC en présence du management du CERN.


Une vue des deux lignes de faisceau dans le hall d’expérimentation du CLIC.

Le Collisionneur linéaire international (ILC) et le Collisionneur linéaire compact (CLIC) sont deux études qui font toutes deux appel à des technologies de pointe. À première vue en compétition, les deux études sont en réalité complémentaires et ont un objectif commun: proposer dans les plus brefs délais et au moindre coût, l‘accélérateur linéaire le mieux adapté pour prendre le relais de la physique des très hautes énergies après le LHC.

Si quelqu’un cherche la réponse à la question «lequel des deux?», il ne pourra pas la trouver ici (ni ailleurs!) car la réponse ne sera tout simplement pas donnée avant 2012. «Les résultats du LHC nous permettront de déterminer la gamme d’énergie requise par la physique des hautes énergies après le LHC et de déduire laquelle des deux technologie est la plus adaptée. En attendant, il est de notre devoir de développer autant que possible ces deux technologies en profitant au mieux des synergies qu’elles présentent, afin d’être en mesure de répondre au mieux et en temps voulu aux besoins de la physique», explique Jean-Pierre Delahaye, responsable de l’étude CLIC.

La technologie d’accélération de l’ILC est basée sur les qualités intrinsèques des cavités supraconductrices qui permettent de transférer l’énergie des champs radiofréquence au faisceau avec une efficacité élevée, permettant ainsi de réduire la consommation électrique d’un collisionneur dont la puissance des faisceaux est de plusieurs dizaines de MWatts. «La technologie des cavités supraconductrices est une technologie relativement ‘mûre’ car elle est déjà largement utilisée dans de nombreuses applications, y compris pour les accélérateurs. En outre, elle a bénéficié d’améliorations impressionnantes ces dernières années tout particulièrement grâce à l’effort de recherche et développement initié par la collaboration TESLA, emmenée par DESY», poursuit Jean-Pierre Delahaye. La collaboration ILC a pris le relais et a ainsi réussi à produire des cavités avec des champs électriques accélérateurs de 35 MV/m, environ 6 fois ceux des cavités supraconductrices utilisées dans le LEP il y a dix ans. Il reste cependant à résoudre le problème de la dispersion de performance qu’on obtient d’une cavité à l’autre: même en fabriquant la même cavité avec les mêmes méthodes, leurs performances peuvent être relativement différentes.» D’autre part, le champ accélérateur est limité par les propriétés intrinsèques des matériaux supraconducteurs (voir encadré). Même avec un champ maximal de 35 MV/m, un collisionneur d’une cinquantaine de km serait nécessaire pour produire des collisions à 1 TeV dans le centre de masse. «De plus, la technologie supraconductrice pâtit d’un coût par GeV relativement élevé car elle nécessite des matériaux spéciaux et des installations cryogéniques pour les maintenir à très basse température» ajoute Jean-Pierre Delahaye. C’est pourquoi, la technologie supraconductrice de l’ILC est bien adaptée mais est limitée à une gamme d’énergie jusqu’au TeV.

Fiche technique:

ILC CLIC
Gamme d’énergie de collision dans le centre de masse
(en GeV/c)

200 à 1000
200 à 3000
Particules accélérées

Electrons et positons
Electrons et positons
Luminosité (cm-2sec-1)

2.1034 à 500 GeV/c
2.1034 à 3000 GeV/c
Longueur nominale (en km)

31 à 500 GeV/c
48 à 3000 GeV/c
Fréquence des paquets (en Hz)

5
50
Distance entre deux paquets (en nanosecondes)

369
0.5
Nombre de particules par paquet

2. 1010
3.7. 109
Technologie utilisée pour accélérer les particules

Cavités RF supraconductrices à température cryogénique
(1.3 GHz)
Accélération à deux faisceaux par cavités RF de haute fréquence (12 GHz) à température ambiante
Champ accélérateur maximal (en MV/m)

31.5 à 35
80 à 100
Coût par GeV (en million d’euros)

10.62
En cours d’évaluation
Conceptual/Technical designs disponibles en (année)
2007/2012
2010/2016

L’étude CLIC a, quant à elle, l’ambition de développer une technologie permettant d’étendre la gamme d’énergie dans le domaine du multi-TeV. Elle est fondée sur une technologie innovante, l’accélération à deux faisceaux, qui utilise des cavités non supraconductrices à haute fréquence (12 GHz). La puissance RF servant à générer les champs élevés d’accélération est fournie par un premier faisceau à haute intensité (dit champ de guidage) dont l’énergie est convertie en radiofréquence nécessaire à l’accélération du faisceau principal (ref. article de Sept 2008). «La technologie CLIC a dû être totalement développée, indique Jean-Pierre Delahaye. Son principal avantage est qu’elle permet de générer des champs accélérateurs élevés, nominalement de 100 MV/m, ce qui permet de construire une machine beaucoup plus compacte en longueur et donc d’atteindre des énergies de collision plus élevées. Le deuxième avantage c’est que son coût par GeV d’accélération est réduit du fait de son extension limitée et de l’absence d’éléments cryogéniques. Par contre, elle demande des développements technologiques dans de nombreux domaines et a nécessité la construction de trois installations de tests dont la toute dernière, CTF3, est maintenant pratiquement terminée. Ce projet, commencé il y a 24 ans en 1985, arrive maintenant au terme de son étude de faisabilité dont les conclusions seront rapportées fin 2010 dans un Rapport de conception (CDR) d’un collisionneur linéaire multi-TeV fondé sur la technologie CLIC.»

En termes d’énergie de collision, l'ILC ne peut pas aller au-delà de 1 TeV, alors que le CLIC, avec une conception adaptée, peut atteindre les 3 TeV et plus. « Si les expériences LHC donnent des signes que la physique intéressante se trouve au-dessus de 1 TeV, il n’y a pas d’autre choix possible que la technologie CLIC car c’est la seule qui permette d’atteindre la gamme d’énergie du multi-TeV».

En attendant, les deux collaborations travaillent ensemble de façon à s’épauler mutuellement et faire en sorte que les deux technologies soient les plus mûres possible au moment où il faudra prendre une décision. «Si on exclut la partie spécifique à la technologie d’accélération, explique Jean-Pierre Delahaye, le CLIC et l’ILC ont de nombreux points communs et doivent faire face à des enjeux similaires. Depuis déjà quelques années, nous avons compris qu’il était contre-productif que chacun développe son étude dans son coin. Pourquoi ne pas plutôt réunir nos forces sur tout ce qui est commun de façon à profiter de la connaissance et de l’expertise réciproques et donc développer une meilleure conception pour les deux? Nous avons ainsi identifié sept sujets essentiels avec de fortes synergies entre les deux études, sur lesquels nous avons créé des groupes de travail communs qui sont gérés conjointement par des experts CLIC et des experts ILC (voir tableau).» Le 12 juin, la direction du CLIC et celle de l’ILC se sont réunies pour la première fois en présence de la Direction du CERN. À cette réunion les participants ont proposé une modification fondamentale de la collaboration CLIC-ILC. «Nous avons décidé d’évoluer vers une collaboration non seulement au niveau technique, mais aussi au niveau du management. Nous avons ainsi préparé un «mémorandum d’accord» qui annonce la mise en place d’une réflexion commune sur une stratégie pour promouvoir et développer les préparations à la fois scientifiques et techniques du futur collisionneur linéaire le mieux adapté aux besoins de la physique lorsque ceux-ci seront identifiés.»

À présent, environ 700 scientifiques provenant de plus de 84 instituts dans 12 pays différents participent à l’étude ILC, alors que 32 instituts de 17 pays participent à l’étude CLIC. «Nous avons créé la collaboration CLIC/CTF3 dès 2005 après avoir évalué quel travail de recherche et de développement était nécessaire pour développer la technologie CLIC et en démontrer sa faisabilité. Puis, nous avons invité l’ensemble des laboratoires du monde entier, indépendamment de leur participation au CERN, à se porter volontaires pour prendre la responsabilité de l’un ou plusieurs des travaux regroupés en lots. Il n’y avait que deux conditions: la première était de nous convaincre qu’ils étaient capables d’accomplir le travail; la deuxième était qu’ils seraient en mesure d’apporter eux-mêmes les ressources. En plus de sa participation directe à l’étude, le rôle du CERN consiste à accueillir la collaboration et coordonner l’ensemble des travaux», explique Jean-Pierre Delahaye. Dix des 20 États membres du CERN se sont portés volontaires ainsi que 7 États non-membres. La collaboration est gérée par un comité de direction regroupant un représentant de chacun des membres. Cela rappelle de près le modèle de collaboration utilisé dans la construction des expériences mais c’est la première fois que cela se fait pour un accélérateur. «Il constitue une expérience pratique de ce que pourrait devenir une possible globalisation et extension du CERN dans le futur. Et cela fonctionne!», conclut Jean-Pierre Delahaye.

Plus d'information

http://www.linearcollider.org/cms/?pid=1000644

Les sept groupes de travail communs de CLIC et ILC

ILC CLIC
1.
Civil Engineering & Conventional Facilities J. Osborne
V. Kuchler
C. Hauviller
J. Osborne
2.
Cost & Schedule J. Carwardine
P. Garbincius
T. Shidara
K. Foraz
G. Riddone
P. Lebrun
3. Beam Delivery System (BDS) & Machine Detector Interface (MDI)

B. Parker
A. Seryi

D. Schulte
R. Tomas Garcia
L. Gatignon
4.
Positron Generation (new)
J. Clarke
L. Rinolfi
5.
Damping Rings (new)
M. Palmer
Y. Papaphilipou
6.
Beam Dynamics A. Latina
K. Kubo

N. Walker
D. Schulte
7.
Physics & Detectors F. Richard
S. Yamada
L. Linssen
D. Schlatter

Le saviez-vous ?

L’évolution de LEP1 (50 GeV d’énergie par faisceau) à LEP2 (100 GeV d’énergie par faisceau) a été possible grâce au remplacement des cavités ordinaires par des cavités supraconductrices. Le champ accélérateur des cavités de LEP2 était de 6 MV/mètre. L'ILC a poussé cette technologie jusqu’à obtenir une valeur de 35 MV/mètre. Au-dessus d’environ 50 MV/mètre, le niobium, matériel dont les cavités sont faites, perd ses qualités supraconductrices. Cette valeur est donc la limite intrinsèque d’exploitation de la technologie des cavités supraconductrices pour les accélérateurs.

La physique aux accélérateurs a utilisé en alternance des machines à protons (et anti-protons) suivies par des machines à électrons (et positons). Les premières, dites «machines hadroniques» du fait que les protons et ses antiparticules appartiennent à la famille des hadrons, sont aussi connues comme «machines de découverte»; les deuxièmes (machines leptoniques) sont, quant à elles, connues comme «machines de précision». La raison d’une telle différence est due à la nature des hadrons, constitués de composants plus petits comme les quarks, et des leptons qui sont des particules élémentaires. Les accélérateurs de hadrons comme le LHC peuvent explorer de larges gammes d’énergie car dans la collision entre hadrons l’énergie est distribuée parmi les quarks (et les autres composants. Il est donc impossible de connaître à l’avance l’énergie mise à disposition dans le centre de masse. Si la gamme d’énergies mise à disposition est vaste, la précision est limitée, justement à cause de la difficulté intrinsèque que les scientifiques ont à évaluer l’énergie de départ. C’est l’inverse dans les machines leptoniques comme le CLIC ou l’ILC. Ici, l’énergie de collision est connue avec une très haute précision mais c’est une valeur unique qui nécessite d’être choisie sur la base d’informations provenant du LHC.