Fermi au CERN

Mis en service depuis seulement dix mois, l’observatoire spatial Fermi a déjà collecté une quantité d’informations sans précédent sur certains des objets les plus étonnants du ciel. De passage au CERN, Luca Latronico, membre de la collaboration Fermi, a apporté des explications sur certaines de ces découvertes et souligné l’importance des liens entre la physique des hautes énergies et l’astrophysique des hautes énergies.



Le télescope à rayons gamma Fermi a été lancé par la NASA en juin 2008. Après une phase de mise en service d’environ deux mois, il a commencé à envoyer des données intéressantes à la Terre. Depuis, ses observations sont en train de changer notre vision du ciel: découverte d’une nouvelle population de pulsars et du sursaut gamma le plus violent jamais enregistré, détection d’une abondance encore inexpliquée d’électrons de haute énergie qui pourrait indiquer la présence de matière noire, production d’une carte du ciel gamma d’une richesse et d’une finesse inégalées.

Pour les membres de la collaboration, les excellentes performances de l’instrument ne sont pas une surprise. «Nous sommes fiers que les données recueillies confirment la bonne conception de notre instrument», déclare Luca Latronico, chef du groupe responsable de l’étalonnage de l’instrument et des paramètres de performance. «Le télescope spatial de grande surface (Large Area Telescope - LAT) a été conçu de manière à avoir une plus grande acceptance que son prédécesseur EGRET. C’est primordial pour pouvoir détecter à tout moment des photons venant d’une grande zone du ciel, et observer ainsi un rayonnement transitoire de sources. Celles-ci sont souvent situées dans des galaxies actives lointaines. Lorsque nous observons un tel signal, nous alertons l’ensemble de la communauté scientifique au moyen des télégrammes astronomiques (ATel). Couvrir une grande partie du ciel s’avère également important pour la détection de sursauts gamma, dont la distribution dans le ciel est isotrope.»

Avec une telle acceptance, Fermi est environ 30 fois plus sensible que EGRET. «L’augmentation de la sensibilité est obtenue en combinant géométrie extrême et technologies de détection de pointe, exlique Luca Latronico. L’utilisation dans le trajectographe de détecteurs à pistes de silicium, par exemple, permet d’empiler un grand nombre de couches de détecteurs efficaces sur une hauteur restreinte, ce qui donne à l’instrument un champ de vue important.»

Les performances du détecteur LAT et sa modélisation précise grâce à des simulations Monte Carlo complexes sont directement héritées de la physique des hautes énergies. Luca Latronico, comme beaucoup d’autres membres de la collaboration, avait déjà participé à des expériences au CERN et dans d’autres laboratoires de physique des hautes énergies. Bien qu’il ne s’agisse pas du seul exemple de collaboration étroite entre physiciens et astrophysiciens des hautes énergies, dans le cas de Fermi, les liens naturels entre les deux disciplines ont conduit à un élargissement important des sujets scientifiques couverts par la mission. «En réunissant les intérêts scientifiques de l’astrophysique et de la physique des hautes énergies, la collaboration a grandement élargi les domaines d’étude, qui couvrent désormais la traditionnelle astronomie des rayons gamma (cartes du ciel et catalogues gamma), la modélisation d’accélérateurs cosmiques, ainsi que des aspects de physique fondamentale comme le test de l’invariance de Lorentz ou les recherches sur la matière noire», poursuit Luca Latronico.

Fermi est conçu pour être extrêmement sensible au passage d’électrons et de photons, deux signatures possibles de la matière noire dans l’Univers. Bien que sa nature soit encore inconnue, la matière noire fait l’objet de nombreuses théories qui postulent que des électrons et des positons de haute énergie et des rayons gamma seraient produits à l’issue de son annihilation ou de sa désintégration et des interactions avec le milieu interstellaire ou un rayonnement fossile comme le bruit de fond cosmologique (CMB). Les récentes observations indiquant un excès d’électrons et de positons dans la région d’énergie allant jusqu’à 1 TeV par rapport aux modèles existants sont l’un des résultats les plus remarquables obtenus par Fermi. «Une telle mesure peut s’expliquer par la présence de sources d’électrons voisines ayant pour origine des objets astrophysiques ou la matière noire, explique Luca Latronico. «Fermi nous permet de combiner observations des électrons et observations des rayons gamma. S’il s’avère que le spectre d’électrons à haute énergie est lié à une source de matière noire voisine, nous devrions observer une signature correspondante dans le rayonnement gamma diffus. La forme d’un tel excès de photons par rapport aux prévisions des modèles astrophysiques, si celui est confirmé, permettra d’écarter certaines hypothèses sur la nature de la matière noire.

Quelles différences entre concevoir des détecteurs pour la physique des particules et construire un observatoire d’astrophysique? «Travailler pour une mission de la NASA a demandé d’acquérir une nouvelle approche des instruments, qui met l’accent sur l’assurance qualité, la documentation et la participation des partenaires industriels, explique Luca Latronico. Je ne pense pas que, au sein de la collaboration, les physiciens des hautes énergies aient une approche de la recherche scientifique différente de celle des astrophysiciens des hautes énergies, mais, culturellement, ils n’ont pas la même définition du mot collaboration. En physique des hautes énergies, les chercheurs travaillent de façon naturelle au sein de groupes de taille importante, tandis qu’en astrophysique des hautes énergies, on a plutôt tendance à travailler individuellement ou en petites équipes.»

Dans un mois environ, dans un véritable esprit de coopération, les données de Fermi seront publiées. «En même temps que les données sur les photons, nous allons publier les outils d’analyse scientifique nécessaires au travail scientifique», anticipe Luca Latronico. La collaboration va de plus diffuser un catalogue des sources détectées pendant la première année de fonctionnement de Fermi, ainsi que le modèle de rayonnement galactique diffus nécessaire pour analyser les sources. «Les sources de rayons gamma sont si nombreuses et si dynamiques qu’il ne peut être que profitable d’avoir un grand nombre d’utilisateurs pour résoudre l’énigme du ciel gamma.»

Le saviez-vous?

Les télégrammes astronomiques (ATel) sont des messages envoyés à l’ensemble de la communauté des astrophysiciens grâce à un site web accessible à tous

Seul un nombre restreint d’utilisateurs peut publier de nouveaux articles, qui sont ensuite archivés pour permettre de retrouver facilement les anciens messages. Le site propose également un fil RSS.

L'instrument

Fermi – anciennement GLAST – est un télescope spatial à rayons gamma conçu pour étudier certains des phénomènes les plus énergétiques de l’Univers. Il est composé de deux parties principales: le télescope de grande surface (Large Area Telescope - LAT), qui mesure les particules entre 20 MeV et 300 GeV, et un détecteur de sursauts gamma (Gamma-ray Burst Monitor – GBM), composé de détecteurs sensibles de 8 keV à 40 MeV. Le LAT consiste en un trajectographe à pistes de silicium (80 m2 de silicium au total), un calorimètre (1536 cristaux) et un détecteur utilisé en anti-coïncidence. Une électronique compacte et une mécanique légère et rigide permettent de maximiser la surface active du détecteur tout en respectant les tolérances dimensionnelles imposées par le lanceur. L’électronique et les détecteurs rapides garantissent un faible temps mort et permettent au LAT d’enregistrer des variations dans le rayonnement gamma inférieures à 1 milliseconde.

Fermi est une mission internationale regroupant de nombreuses agences, et à laquelle participent des instituts de recherche situés en Allemagne, aux États-Unis, en France, en Italie, au Japon et en Suède.


Crédit: NASA/DOE/Fermi LAT Collaboration