Simon van der Meer (1925-2011)

Simon van der Meer était, dans tous les sens du terme, un géant de la physique des particules moderne. Sa contribution à la science des accélérateurs reste capitale pour le fonctionnement des accélérateurs d’aujourd’hui tels que le LHC. Simon van der Meer, ingénieur électricien, avait grandi à La Haye, avant de faire des études d'ingénieur à l'Université de Delft. Après un passage chez Philips, il est arrivé au CERN en 1956, deux ans à peine après l’ouverture du Laboratoire, et il est resté avec nous jusqu’à sa retraite, en 1990.

 

C’était un homme extrêmement inventif. Confronté à un problème, il se plongeait dans une réflexion profonde, dont il ne sortait pas tant qu’il n’avait pas trouvé de solution. Steve Myers se souvient qu'il était très exigeant, et aussi extrêmement taciturne. Simon van der Meer n’aurait pas utilisé deux mots quand un seul suffisait. Mais ce mot-là était toujours le mot juste.

Simon van der Meer est surtout connu pour sa contribution au projet SPS, pour lequel il a reçu le prix Nobel conjointement avec Carlo Rubbia, en 1984. Le refroidissement stochastique, l’innovation qui a rendu possible l’existence du SPS, est un exemple typique de l’inventivité de Simon van der Meer : une idée toute simple à première vue, mais pour quiconque comprend le fonctionnement des accélérateurs, c'était véritablement un trait de génie.

Le refroidissement stochastique est une technique utilisée pour focaliser des faisceaux intenses de particules de charge semblable. Cette technique consiste pour l’essentiel à mesurer la distribution par taille et par impulsion des particules du faisceau en un point de l’anneau de l’accélérateur, et à envoyer l’information nécessaire de l’autre côté de l’anneau suffisamment tôt pour pouvoir appliquer les corrections nécessaires.

Cette invention est sans doute la plus grande contribution de Simon van der Meer à la physique moderne, et c’est à juste titre qu’elle a été couronnée par un prix Nobel. Et pourtant, au départ, il a fallu du temps à Simon pour se convaincre que son idée avait une telle importance. À notre connaissance, Simon van der Meer a mentionné pour la première fois la possibilité du refroidissement stochastique lors d'une réunion des chefs de groupe des ISR, en 1968. Wolfgang Schnell, chef du groupe chargé des RF et de l'instrumentation des faisceaux, a eu beaucoup de mal à convaincre Simon d’écrire sa proposition, mais il a fini par écrire quelque chose. C'était la première étape d'un voyage qui devait l'amener à Stockholm.

L’étape suivante a été l’Expérience initiale de refroidissement (ICE), destinée à faire l’essai du refroidissement stochastique. L’essai a été concluant, et cette réussite d’ICE a été déterminante dans la décision du Conseil du CERN de lancer le projet SPS. Dès lors, il était logique que Simon devienne l'un des responsables du projet d'Accumulateur d'antiprotons, dans lequel le refroidissement stochastique était utilisé pour accumuler en nombre suffisant des antiprotons pour le collisionneur. Ce projet-là a lui aussi été un grand succès, et on connaît la suite.

Simon est venu au CERN en tant que spécialiste des convertisseurs de puissance, et c’est lui qui a été chargé de la construction des convertisseurs utilisés pour le premier collisionneur de hadrons du monde, les ISR, et ensuite pour le SPS. Il a également mis au point un dispositif appelé corne magnétique, utilisé aujourd’hui par des laboratoires de trois continents différents pour diriger des faisceaux focalisés de particules neutres – les neutrinos – en leur faisant traverser l'écorce terrestre sur des centaines de kilomètres pour atteindre des détecteurs de particules souterrains. Il nous a également laissé en héritage la technique qu'il a inventée pour mesurer les faisceaux, et qui porte son nom. Sans la méthode van der Meer, la précision de l'étalonnage de la luminosité dans le LHC serait bien moindre. De nos jours, les contributions de Simon van der Meer continuent à jouer un rôle important dans les projets du CERN, qu’il s’agisse du LHC ou du projet CNGS (Neutrinos du CERN vers le Gran Sasso), ou du Décélérateur d’antiprotons – dont les résultats en 2010 ont été considérés comme l’avancée de l’année par la revue Physics World. Simon était un savant et un inventeur brillant, très respecté au CERN et dans le monde entier. C’était un géant dans notre discipline.

Rolf Heuer et Steve Myers