La science en libre accès… mais à quel prix ?

Lors de la dernière réunion du Scientific Information Policy Board (SIPB) du CERN, le 20 octobre dernier, l’auditoire a été mis au fait d’une pratique pour le moins déconcertante : certaines maisons d’édition compilent des contenus en libre accès sous forme de livres, qu’elles vendent à des prix relativement élevés.

 

Certaines thèses, pourtant disponibles en libre accès sur CDS, se vendent à des prix incroyables sur Amazon. Le problème est que les acheteurs ignorent qu'il s'agit de thèses, et qu'il est donc possible de les consulter gratuitement.

« Quand j’ai découvert ça, j’ai été vraiment stupéfait ! », confie Tullio Basaglia, chef de la section Bibliothèque du service d’information scientifique du CERN. Ce dont parle Tullio, c’est de la pratique peu orthodoxe de certaines maisons d’édition peu scrupuleuses qui n’hésitent pas à vendre… des informations gratuites ! Autrement nommé, l’art de récupérer des articles de Wikipédia, de les compiler, de les relier sous forme de livre, et de les vendre au prix fort sous un faux nom. Comme par exemple celui de Lambert M. Surhone, qui aurait déjà écrit près de 120 000 livres sur des sujets aussi variés que les palais de justice des États-Unis ou les cactus…

« Il y a deux types de documents, explique Tullio Basaglia, ceux qu’on appelle les ‘robot-books’, et les thèses. Les premiers sont ces fameux livres conçus à partir de contenus Wikipédia. Ce n’est, ni plus ni moins, qu’une suite d’articles collés – tels quels - les uns derrières les autres. Feuilletez un de ces ouvrages, vous constaterez qu’il n’y a pas l’ombre d’un ‘editing’(1)… Les deuxièmes, eux, concernent plus directement la communauté scientifique. Il s’agit de la commercialisation de thèses de doctorat, ce qui va à l’encontre des principes, sinon de la science au sens large, au moins du CERN ! »

La commercialisation ? Oui, parce qu’en plus de vendre des livres estampillés « High quality content by Wikipedia articles »(2), certaines de ces maisons d’édition parviennent à convaincre les jeunes chercheurs de leur confier la publication de leur thèse. Parfois, le thésard accepte la proposition et la maison d’édition imprime la thèse sous forme de livre. Retombées financières : zéro pour le thésard (à l’exception, peut-être, de quelques exemplaires gratuits) ; l’intégralité des recettes de la vente pour l’éditeur. Et quand on sait que certaines thèses se vendent une centaine d’euros, la pilule passe d’autant plus mal.

Mais au-delà de l’aspect purement financier, c’est surtout la question du libre accès qui se pose. « Notre politique est de diffuser la science librement. Toutes les thèses réalisées au CERN, ou en collaboration avec l’Organisation, devraient être soumises au CERN Document Server, où elles sont disponibles en libre accès(3). L’idée même de les vendre est en totale contradiction avec ces principes », insiste Tullio Basaglia.

 Mais alors, qui achète ces livres ? C’est assez difficile à croire, mais, dans le cas des thèses, les auteurs eux-mêmes mettent la main à la poche. « C’est assez plaisant d’avoir son nom sur la couverture d’un livre, surtout quand on peut le trouver sur Amazon, admet Tullio Basaglia. Certains jeunes chercheurs achètent des exemplaires supplémentaires de leur propre thèse pour les offrir à leur famille ou à leurs amis. Il est possible que certaines bibliothèques acquièrent également de tels ouvrages, car il est très difficile de voir qu’il s’agit d’un mémoire de thèse. »

Et quant à la question de la légalité, difficile de savoir où se trouve la limite. Les contenus de Wikipédia, la bien nommée « encyclopédie libre », ne sont pas soumis au copyright. Et dans le cas des livres de thèses, l’auteur est a priori toujours impliqué dans le processus. C’est donc à l’individu – simple féru de science, bibliothécaire ou chercheur – de prendre ses responsabilités pour que la science reste en libre accès.


(1) Étape de relecture et de correction habituellement réalisée par l’éditeur.

(2) Contenu de haute qualité issu d’articles de Wikipédia.

(3) Plus d’informations ici.

Retrouvez la présentation faite par Tullio Basaglia lors de la réunion du SIPB ici.

par Anaïs Schaeffer