Détecteur à pailles : 1 - Vide : 0

Le trajectographe à pailles de l’expérience NA62 utilise une technologie d’avant-garde au CERN pour détecter des pions issus de désintégrations très rares du kaon. Pour la première fois, un grand détecteur à pailles avec une couverture de 4,4 m2 sera placé directement dans l’enceinte à vide d’une expérience, ce qui permettra aux physiciens de suivre la trajectoire et de mesurer l’impulsion des particules chargées avec une très grande précision. Les mesures réalisées par NA62 en utilisant cette technique permettront aux physiciens d’étudier des modes de désintégration des kaons extrêmement rares, qui pourraient être influencés par des particules et des processus non décrits dans le Modèle standard.

 

L'extrémité des pailles est collée à un cadre en aluminium, étape cruciale de l'assemblage d'un module. Les extrémités sont ensuite inspectées visuellement, avant le test d'étanchéité.

« Certes, on utilise des détecteurs à pailles depuis les années 1980, mais ce qui est nouveau avec celui de NA62, c’est qu’il peut fonctionner dans le vide », précise Hans Danielsson, chef de projet pour le trajectographe à pailles de NA62. Fondamentalement, les détecteurs à pailles sont de petites chambres à dérive, où des particules ionisent un gaz à l’intérieur d’un tube étroit contenant un fil qui enregistre un signal et mesure son temps d'arrivée.

Après trois années de recherche et développement, les « pailles » de NA62 sont maintenant capables de supporter la pression importante exercée par le gaz une fois qu’elles sont placées dans l’enceinte à vide du dispositif expérimental – qui fait plus de 100 mètres de longueur pour 2,5 mètres de diamètre. On pourrait imaginer, classiquement, ajouter un support mécanique ou augmenter l’épaisseur des pailles pour que celles-ci résistent à la pression. Ces solutions seraient raisonnables, si elles ne créaient pas une source d’interaction avec la matière, indésirable dans le vide. Pourtant, les pailles du détecteur sont stables mécaniquement sur plus de 2 mètres, tout en restant étanches, ce qui est essentiel pour préserver la qualité du vide.

Pour arriver à ce résultat, il a fallu trouver une nouvelle technique pour construire les pailles. « La technique habituelle est d’enrouler deux bandes conductrices en spirale, – un peu comme le tube central d’un rouleau de papier absorbant, explique Hans Danielsson. Cette technique a bien fonctionné pour le TRT d’ATLAS, mais elle ne permet pas d’obtenir des pailles étanches et stables mécaniquement. »

L’équipe a donc, en collaboration avec l’Institut unifié de recherche nucléaire (JINR) de la Fédération de Russie, mis au point une technique consistant à enrouler une bande de 31 mm de large en forme de paille, puis à en souder les bords, en formant un seul joint de 0,6 mm de large sur toute sa longueur. « Nous avons eu recours au soudage par ultrasons pour fermer les pailles, explique Hans. Nous nous sommes rendus compte que, non seulement cette technique de soudure les rend complètement étanches, mais qu’elle leur donne la résistance nécessaire pour qu’elles restent rigides et puissent supporter la pression du gaz dans l'enceinte à vide sans se rompre. »

L'équipe de NA62 avec le premier module de détecteur à pailles, dans le bâtiment 154.

Une fois la R&D terminée, le trajectographe à pailles de NA62 est passé en production au CERN. Environ 2000 pailles sont en cours d'assemblage en huit modules. Chaque module comporte deux fois quatre couches de pailles, avec un décalage de 90 degrés, ce qui permet de mesurer au moins deux coordonnées pour chaque particule. Les huit modules seront installés dans l’enceinte à vide en quatre points différents.

« Nous testons chaque paille séparément, puis nous l’insérons dans le module et nous connectons l’électronique, explique Hans. Bien sûr, nous devons également vérifier les modules à chaque étape de l’assemblage, pour nous assurer que les spécifications très strictes du détecteur sont respectées. Une équipe du JINR travaille avec nous pendant quelques semaines. Nos collègues russes sont en train d’apprendre les différentes étapes de l’assemblage des modules, et ils pourront ensuite en assembler certains d’entre eux dans leur institut. »

par Katarina Anthony