Collisions d’ions plomb : un nouveau record d’énergie pour le LHC
Après le Bevatron (Berkeley, 1954), dont l’énergie a franchi la barre du milliard d’électronvolts, et le Tevatron (Fermilab, 1987), qui a atteint mille milliards d’électronvolts, le LHC atteint maintenant le niveau du pétaélectronvolt (un million de milliards d’électronvolts) dans ses collisions d’ions lourds (voir ici). Il faut cependant se rappeler que, dans la « boule de feu » de 1 PeV, l’énergie moyenne par paire de nucléons entrant en collision est de 5 TeV (contre 13 TeV dans les récentes collisions proton-proton).
Deux des grands accélérateurs de particules du passé ont été nommés d’après la barrière symbolique d’énergie qu’ils ont franchie. Le Bevatron (pour « billions of electronvolts synchrotron »), à Berkeley, en 1954, a été le premier à franchir la barre du milliard d’électronvolts (BeV, appelé à présent gigaélectronvolt ou GeV) dans le centre de masse, avec une marge suffisamment importante pour créer les premiers antiprotons du laboratoire. Une trentaine d'années plus tard, en 1987, le Tevatron, au Fermilab, a franchi la barre de 1 téraélectrontvolt (TeV) dans le centre de masse, soit mille milliards d'électronvolts ou 1 000 GeV. L’énergie des faisceaux du Tevatron atteignait près de 1 TeV, se traduisant par une énergie de près de 2 TeV lors des collisions avec des faisceaux de sens opposé.
Un peu moins de trente ans après que le Tevatron a atteint 1 TeV, le LHC a repris son programme de collisions de noyaux de plomb à une nouvelle énergie, entreprise rendue possible par les travaux effectués sur le LHC pendant le premier long arrêt. L’énergie totale dans le centre de masse lors des collisions sera de 1045 TeV, ce qui brisera la barrière symbolique d’un million de milliards d’électronvolts, ou 1 PeV (pétaélectronvolt). Toutefois, l'isotopes de plomb accéléré dans le LHC contient, outre 82 protons, 126 neutrons, qui n'ont pas de charge électrique, sur lesquels les champs accélérateurs sont donc sans effet. L’énergie totale du noyau est ainsi répartie entre 208 nucléons, chacun d’entre eux ayant 82/208 (soit 39,4 %) de l’énergie transmise par le LHC aux protons pris isolément. Dans la littérature de physique nucléaire, il est habituel de se référer à l’énergie moyenne dans le centre de masse des paires de nucléons en collision, laquelle sera de 5,02 TeV.
Avec tout le respect que l’on doit à nos collègues des expériences, cette convention pose un problème récurrent en physique des accélérateurs, dans la mesure où nous considérons que la dynamique des particules doit être basée sur une certaine masse, charge et énergie, et où l’« énergie par nucléon » n’apparaît pas dans les équations. Ceux qui regardent attentivement l’écran « LHC Page 1 » auront remarqué un « Z » ajouté dans la valeur de l’énergie du faisceau, afin de prendre cela en compte (le nombre précédent étant l’énergie par charge, qui est la même que pour les protons). Cette présentation a déjà été utilisée pour les deux faisceaux quand nous avons fait entrer en collision des protons avec des ions plomb en 2012 et 2013.
Le SPS, de son côté, envoie des ions plomb à 36,9 TeV (ou 177 GeV par nucléon) au LHC et aux expériences à cible fixe depuis plusieurs années.
Si l’on adopte le point de vue du début des années 1950, les énergies atteintes par le Tevatron et le LHC auraient semblé relever de la science-fiction. Mais grâce aux avancées réalisées en physique et en technologie des accélérateurs dans les décennies qui ont suivi, elles sont à présent devenues réalité. En ce qui concerne les collisions d’ions lourds du LHC, la concentration d’une si grande quantité d’énergie dans un petit volume nucléaire suffit à créer des densités de particules énormes et des températures environ 250 000 fois plus élevées que celles existant au centre du Soleil. Ainsi, les collisions d'ions lourds recréent le plasma quarks-gluons, état extrême de la matière qui aurait empli l'Univers quand il n'existait que depuis quelques microsecondes. Les expériences LHC étudient alors le comportement collectif des quarks et des gluons quand ils forment cet état.
Par conséquent, même si nous sommes loin de pouvoir faire entrer en collision des protons pris isolément à une énergie de 1 PeV (dans le Pevatron, peut-être ?), nous pouvons tout de même célébrer le franchissement d’une nouvelle barrière symbolique d’énergie.
par John Jowett