Une fin d’année pleine de suspense

Il y a quelques années, le mot « LHC » figurait parmi la liste des dix mots les plus tendance de l’année. Pour 2011, c’est le mot « sigma » qui devrait à son tour figurer sur cette liste. On n’aura jamais mis autant l’accent sur l’importance des statistiques en physique des particules, ainsi que sur la prudence et la rigueur qu’il convient d'adopter lorsque l’on effectue des analyses sur la base de statistiques.

 

En physique des particules, le caractère significatif d’une observation est mesuré en termes d’écarts-types, en abrégé, sigma. L’écart-type mesure la probabilité qu’une observation soit due au hasard au lieu de signaler une découverte. Des effets de deux sigma sont susceptibles de se produire avec une régularité comparable à celle de deux jets de dé produisant deux six consécutifs. L’effet de trois sigma correspond à une probabilité de quelques millièmes qu’une observation soit due au hasard : il s'agit du point auquel il est généralement admis qu'une observation devient intéressante. Pour qu’il y ait découverte, il faut cependant cinq sigma ; à ce point, on considère qu’il y a moins d’une chance sur un million que l'observation soit l’effet du hasard.  

Cette semaine, lors des séminaires publics donnés par les expériences ATLAS et CMS, nous avons pu voir qu’il y a un cumul d’effets relativement peu significatifs correspondant à l’existence possible d’un boson de Higgs du Modèle standard ; les physiciens des particules prennent ce cumul très au sérieux. Ce qui est intéressant, c’est que nous sommes en présence de nombreuses mesures effectuées par deux expériences indépendantes et qui vont toutes dans le même sens en indiquant la trace éventuelle d’un boson de Higgs du Modèle standard dans la gamme de masses comprises entre 124 et 126 GeV. Il est beaucoup trop tôt pour affirmer qu’ATLAS et CMS ont découvert le boson de Higgs, mais ces convergences sont évidemment suggestives.

Le boson de Higgs, s’il existe, a une durée de vie relativement brève et peut se désintégrer selon des voies très diverses. Sa découverte éventuelle repose sur l’observation du produit de sa désintégration plutôt que sur son observation directe. ATLAS et CMS ont analysé plusieurs voies de désintégration, et les deux expériences décèlent de légers excédents dans leurs données dans deux voies de désintégration distinctes et à la même énergie. Il faudra recueillir davantage de données pour que l’on puisse qualifier ces excédents de découverte, ou pour exclure définitivement l’existence d'un boson de Higgs du Modèle standard ; nous ne pouvons donc espérer d'annonce à ce sujet avant l'été prochain au plus tôt. Ce que l’on peut affirmer néanmoins, c’est que les deux expériences axeront leurs analyses sur cette gamme de masses au cours des prochains mois, et que les conférences d’hiver de 2012 seront le moment phare de l’année pour les physiciens des particules.

Rolf Heuer