Mesures d’OPERA : place à la théorie

La théorie de la relativité d’Einstein invalidée, les voyages dans le temps rendus enfin possibles, tout notre savoir soudainement bouleversé : les neutrinos supraluminiques ont déclenché des réactions dans le monde entier. Alors que la nouvelle se répandait, la communauté des théoriciens suivait la procédure scientifique habituelle, à savoir : comprendre, réfléchir, lire, imaginer, contrôler, revérifier et se demander comment une théorie pourrait expliquer le résultat obtenu par OPERA.

 

La semaine passée, des théoriciens du CERN ont organisé un atelier afin de discuter du récent résultat présenté par OPERA. L’atelier s’est déroulé durant toute la matinée du vendredi 14 octobre et a permis aux théoriciens, aux expérimentateurs, aux membres de la collaboration OPERA et à des membres de la communauté du CERN dans son ensemble de mener des discussions productives sur une question brûlante : si le résultat d'OPERA est confirmé par d'autres expériences, existe-t-il une théorie qui puisse l’expliquer ? « Nous avons passé en revue une grande partie des articles publiés dans arXiv après qu’OPERA a rendu ses résultats publics, explique Ignatios Antoniadis, responsable du groupe Théorie du CERN. Après plusieurs discussions et un riche échange d’idées, les participants sont tombés d’accord sur le fait qu’à l’heure actuelle, il n’existe aucun modèle théorique cohérent qui puisse intégrer ce résultat. »

La principale source de remise en question de l’existence des neutrinos supraluminiques tels qu’ils ont été observés par OPERA provient d’un article de Andrew G. Cohen et Sheldon L. Glashow, publié le 29 septembre. « La thèse présentée par Cohen et Glashow se fonde sur la cinématique. Elle postule que, lors de leur voyage du CERN vers le Gran Sasso, les neutrinos supraluminiques perdent une partie de leur énergie et émettent des paires électron-positon. Ce phénomène n'est possible que si les neutrinos vont plus vite que la lumière », explique Ignatios Antoniadis.

Cependant, si les neutrinos perdaient une grande partie de leur énergie, cela apparaîtrait sur les graphiques d’OPERA… Or, cela n'a pas été le cas : la distribution énergétique des neutrinos qui arrivent à OPERA correspond à ce qui avait été prévu, sans aucune perte pouvant être attribuée au phénomène mentionné par Cohen et Glashow. « Pour l’heure, tout ce que nous pouvons dire, c’est que nous devons continuer à chercher des modèles théoriques qui pourraient expliquer le résultat d'OPERA  sans aller à l'encontre des contraintes imposées par les autres mesures expérimentales, mais Cohen et Glashow nous ont avertis que ça ne serait pas une tâche facile », explique Christophe Grojean, membre du groupe Théorie et l’un des organisateurs de l'atelier.

En d’autres termes, il n’y a pas de scoop pour l’instant, uniquement une confirmation que le résultat d'OPERA continuera à être scruté de près par la communauté scientifique mondiale au cours des prochains mois.

par CERN Bulletin